Burkina : « Le terrorisme est venu trouver une communauté peule déjà affaiblie, à l’image d’un corps en immunodépression », Dr Issaka Sondé

Pharmacien multi-spécialisé de profession, Dr Issaka Sondé est aussi un chroniqueur talentueux de la vie sociale et politique que les lecteurs du Faso.net connaissent bien depuis l’insurrection populaire de 2014. Nous l’avons approché pour avoir son analyse sur la grave crise sécuritaire que traverse le Burkina Faso avec, en creux, l’épineuse question de l’implication de la communauté peule dont il est membre.

Lefaso.net : Comment se porte le Dr Issaka Sondé, bien connu des lecteurs de Lefaso.net pour ses brillantes tribunes sur les questions nationales, et que devient-il ?

Dr Issaka Sondé : Avant tout propos, il me plaît de vous remercier et de vous féliciter chaleureusement, vous et toute l’équipe de Lefaso.net, ce cordon ombilical qui relie toutes les filles et fils du Burkina Faso à la mère patrie où qu’ils se trouvent. Je vous remercie de m’accorder une fois de plus votre voie et votre voix pour ma contribution citoyenne sur la situation nationale au Faso, notre bien-aimé pays. Je vais, dans la mesure du possible, essayer d’être franc et sincère dans mes propos. Pour moi, cela est nécessaire de dire ce que je pense, surtout en pareille situation et dans l’espoir que cela pourrait aider à trouver des solutions.

Mon diagnostic et ma conclusion sont que nous ne semblons pas encore avoir trouvé le meilleur remède contre ce mal. J’espère de tout cœur que pour le mal, la phase d’incubation est terminée et que nous entamons réellement la phase de guérison. Pour cela, en plus de la force et de la loi des armes, il faudra absolument anticiper dès maintenant et recourir à d’autres traitements, d’autres approches pour résorber les différents effets secondaires et indésirables qui risquent de se présenter et qui pourraient aussi s’avérer graves pour la cohésion sociale, le vivre ensemble en intelligence, en tolérance, en fraternité, en harmonie dans la paix durable.

On note de plus en plus la prolifération de discours de haine et de stigmatisation de certaines franges de la société : des communautés ethniques comme les Peuls, des groupes socio-professionnels comme les intellectuels ou encore les journalistes ; comment appréciez-vous cela ?

Merci sincèrement pour cette question. Je me sens véritablement dans chacun de ces trois groupes en tant que Peul, en tant que lettré et en tant que celui qui écrit de temps en temps pour dire ce qu’il pense en toute objectivité. Je me sens donc interpellé et je trouve que ce qui se passe est très regrettable, déplorable, scandaleux, inadmissible, inacceptable. Mais cela ne me surprend pas. En décembre 2022, j’étais à Kigali et j’ai consacré une journée entière à la visite du musée du génocide rwandais. J’ai pu lire en abondance, j’ai visionné les vidéos de l’horreur, j’ai vu les reliques des victimes. Ce passage au musée a renforcé ma conviction sur la fragilité de l’être humain, sa proximité étroite avec les autres être dits dépourvus de raison. J’ai profondément pensé à Thomas Hobbes dans son assertion que « L’homme est un loup pour l’homme » dans un « état de nature » où l’homme représenterait potentiellement un danger mortel pour les autres.

Par conséquent, ce que vous avez observé et décrit comme « prolifération des discours de haine et de stigmatisation de certaines franges de la société : des communautés ethniques comme les Peuls, des groupes socio-professionnels comme les intellectuels ou encore les journalistes » fait parfaitement partie des étapes vers le pire à chaque fois que les humains sont dans une situation volatile, incertaine et se cherchent ; que l’espoir s’amenuise en l’homme, quand la raison se perd en l’homme désespéré de peu de foi ou de spiritualité peu accomplie. C’est un schéma et un chemin classiques que tous les peuples éprouvés ont traversés. Malheureusement, on n’en tire pas de leçons pour anticiper sur certains éléments et leurs conséquences dramatiques.
Jean de La Fontaine dans le livre VII de ses fables l’a bien démontré dans « Les animaux malades de la peste ». A chaque fois que « le mal répand la terreur », pour expier le péché, il faut toujours « que le plus coupable périsse » et en général on « crie haro » sur le plus faible du groupe et on lui fait payer le prix fort qui est la mort.